Depuis Althusser, nous savons que tout discours (idéologique ou non) produit ou induit un effet de subjectivité. Encore faut-il préciser la nature de ses effets. Partant d’une conception du discours héritée des « structuralistes » français, le rapport du sujet avec le discours idéologique est interrogée à l’aûne du discours sectaire. Si par discours, l’on entend la disposition et l’articulation dans le champ social de signifiants en tant que cet agencement structure le rapport entre les individus et donc détermine un lien social, alors l’étude des idéologies sectaires nous renseigne non seulement sur la modalité qui s’y déploie de vivre ensemble mais aussi sur les effets sur le sujet que ces idéologies induisent. C’est en suivant l’enseignement de Lacan sur le « discours du capitaliste » (1969-70, 1972) et au moyen d’une approche clinique – c’est-à-dire auprès de chaque sujet dans sa singularité – que l’on saura rendre compte des effets du discours idéologique sectaire sur le sujet contemporain. Il s’agit donc de se mettre à l’école du sujet, adepte d’une secte, pour comprendre les solutions singulières qu’il met en oeuvre pour habiter un discours pourtant désubjectivant. En particulier, nous relevons une dé-dialectisation de l’énonciation religieuse : effondrement des « grands récits » de l’émancipation (Lyotard, 1979) au profit de petits récits efficaces et univoques qui n’opèrent pas tant une aliénation du sujet de l’inconscient à l’idéologie que sa forclusion (Verwerfung freudienne), son aphanisis au profit d’un Moi in-dividuel. Par ailleurs, le langage n’échappe pas à cette violence symbolique et sa fonction poétique est évirée (forclusion de la fonction phallique) au profit d’un « babil de jouissance » (Barthes, 1973). La pression qui porte sur le vocabulaire (néologismes, nouvelles définitions, holophrases) au sein du discours idéologique sectaire n’est donc pas non plus sans effet sur le sujet qui habite le langage et emprunte à l’Autre les signifiants qui composeront le tissu dans lequel se déploiera sa structure subjective (névrotique, psychotique ou perverse). En dernière analyse, l’idéologie opère discursivement la forclusion de l’« homo dialecticus » (Foucault), façon de se prévenir de la dimension révolutionnaire du sujet de l’inconscient (Sauret, 2008).